Cap, accélération, déviation et perte des instruments
Un navire en construction sur sa route
L'Insee vient d'afficher un deuxième trimestre consécutif de décroissance du PIB français pour le début de l'année 2009. La France est techniquement en récession. Cette conjoncture est-elle
comparable aux précédentes récessions ?
Comparons une économie nationale à un navire voguant sur l'océan. Imaginons le navire allant vers sa destination en se transformant sous l'action permanente des ingénieurs et techniciens à son
bord. Ils apportent sans cesse des améliorations à la conception du bateau, à sa fabrication. Le navire accélère en permanence son allure sous l'effet de ces améliorations. L'accélération est la
croissance économique ; chaque année, le navire a parcouru une plus grande distance que l'année précédente.
La récession est le ralentissement du navire. La distance parcourue annuellement se met à décroître d'une période à la période précédente. Les passagers toujours actifs et inventifs ne
parviennent plus à entretenir l'accélération. Si le ralentissement se poursuit, le navire peut s'arrêter alors que tout le monde voudrait qu'il accélère. Techniciens et ingénieurs ont-ils un
moment de faiblesse ? Sont-ils temporairement à court d'idées ? Ou l'équipage s'inquiète-t-il du cap ?
Les passagers sont eux-mêmes le cap
Si le navire ne va pas dans la direction qui convienne au moins à la majorité des passagers, ils baissent les bras. Imaginons que le système financier donne la vitesse et les déviations du navire
par rapport au cap. Imaginons l'absence de champ magnétique en économie : il n'est possible que de décider une direction et de mesurer en permanence les déviations par rapport à la direction
décidée. Il n'y a de nord que celui désigné par les passagers.
Imaginons que la direction est décidée par le marché dans l'équilibre de l'offre et de la demande de toute valeur marchande y compris financière. Imaginons que la mesure de la direction et de la
vitesse économique se fasse par la monnaie, que la monnaie soit fabriquée par une autorité monétaire ; que cette autorité n'ait pas d'autre critère que la valeur échangée sur le marché pour
fabriquer la monnaie qui la mesure. Imaginons donc que la valeur de la monnaie dépende de l'hypothèse du marché seule direction connaissable de la val, qu'il n'y ait pas d'autre vérification de
l'hypothèse que la conviction partagée par la majorité de la meilleure direction prise.
Alors la récession brutale est soit une baisse de moral exceptionnellement profonde, soit une erreur de cap majeure. L'énergie apportée à l'avancement du navire a-t-elle faibli ? Ou
l'accélération est-elle mesurée par rapport à un cap supputé qui n'est pas le cap réel ? Qui n'est pas non plus le cap souhaité assimilé au cap hypothétiquement souhaité. Si le navire absorbe la
même énergie pour aller dans une direction perpendiculaire, il va à la même vitesse mais paraît arrêté par rapport au cap supputé.
Quelle réalité est en observation ?
La science probabiliste délimite la question posée mais pas le sens interrogé dans la question. Quand un grand nombre de mesures effectuées dans des conditions similaires sur un même phénomène
s'ordonnent selon des lois mathématisables, alors le phénomène obéit à une rationalité qui permet d'en prévoir l'évolution dans le temps et dans l'espace. Si la prévision se révèle non conforme à
la réalité après expérimentation, toutes les mesures souffrent d'un même biais qui invalide l'instrument de mesure mais pas l'hypothèse de rationalité mal mesurée.
Notre navire n'a qu'un seul instrument, la croissance de la valeur économique, pour mesurer son cap et son accélération. Une baisse de moral et une erreur de cap sont matérialisées par les mêmes
mesures non nulles d'écarts entre le cap fixé et le cap effectif. Qui s'interprètent aussi comme écarts entre l'accélération fixée et l'accélération effective. L'équipage est à lui-même la mesure
de son cap et de l'accélération du navire. Comprendre la récession, c'est conjecturer sur soi-même.
Quelles sont les manifestations de l'actuelle récession ? Un freinage rapide, profond et simultané de la croissance dans le monde entier comme il n'en est jamais arrivé dans toute l'histoire de
l'humanité. S'il n'est pas possible d'affirmer le bon cap, il est plus que probable que nous ne le suivons pas. Si l'équipage cherche un motif de se remettre au travail, il doute que ce sera sur
le cap de l'économie mondiale en 2007 et 2008. Si la reprise arrivait, ce serait que nous ayons changé de cap. Qu'est-ce qui a changé ?
Le volontarisme remplace-t-il la gouvernance ?
Jusqu'à l'été 2008, les prix ont augmenté ; y compris les profits des entreprises et les budgets des États. A l'automne 2008, tout s'effondre. Le G20 annonce des réformes et un effort concerté
pour maintenir les dépenses publiques alors que les recettes chutent pour une durée déclarée et voulue brève. Les États ont constaté la panne financière conséquente aux incidents accumulés depuis
l'été 2007 : la vitesse du navire est donnée en fort ralentissement par les marchés financiers ; la dérive par rapport au cap, potentiellement très élevée. A la prolongation de la récession
inacceptable si elle est vraie, les États subsituent leurs décisions de relance. Ils remplacent l'équipage défaillant.
Supposons que la vitesse du navire soit mesurée par le volume de crédit disponible à l'économie mondiale ; que le risque soit les dérives par rapport au cap fixé par le marché. La crise des sub
prime a alors été une première alerte à bien tenir le cap. Comme chacun peut l'expérimenter, ne pas tenir sa direction fait perdre de la vitesse pour une même consommation d'énergie. Pour lutter
contre la crise du crédit interbancaire susceptible de ralentir la croissance, les grandes banques centrales ont augmenté leur part de crédit à l'économie mondiale.
Mais maintenir sa vitesse quand le gouvernail est imprécis, cela augmente les zigzags du navire. L'économie mondiale a maintenu son allure en 2008 mais en augmentant son potentiel de déviation
par rapport au cap. En septembre 2008, l'instabilité du gouvernail est devenue trop forte : l'explosion des risques a détruit massivement le crédit. Le navire s'est mis à ralentir brutalement. Le
ralentissement se poursuit aujourd'hui. La distance parcourue en 2009 sera inférieure à 2008 comme jamais depuis 1945. Il n'est pas sûr que la vitesse se stabilise en 2009 encore moins qu'elle
revienne à l'accélération.
L'accélération du crédit nourrit le freinage du risque
Les causes du risque sont-elles connues et aujourd'hui corrigées ? Trop de risques ont détruit le crédit. Les États produisent du crédit de remplacement avec des déficits budgétaires massifs. Le
système financier ne produit plus suffisamment de crédit par lui-même, ne demande plus suffisamment de crédit aux banques centrales. Les États-Unis et le Royaume-Unis empruntent directement à
leur banque centrale. Le risque a-t-il baissé, baisse-t-il ou va-t-il baissé ?
Le ralentissement du navire reste la seule force de réduction du risque. L'instabilité du gouvernail faiblit d'autant moins que les États sont en insolvabilisation rapide. Ils produisent du
risque en accélérant ; personne ne peut certifier que le navire se stabilise sur le bon cap. Le contraire est malheureusement plus probable. Parce que les signaux produits par le système
financier sont de plus en plus faussés par l'instabilité de la mesure de la vitesse et de la déviation par rapport au cap d'équilibre ; cap qui découle de la réalité du moral de l'équipage, de sa
détermination à choisir.
Le système financier a suffisamment d'indicateurs pour mesurer l'instabilité de la réalité économique ; suffisamment pour considérer la mesure produite de l'équilibre totalement imprécise ;
suffisamment pour ne plus produire tout le crédit qui nourrisse la croissance. Il n'y a pas de raison de croire que les contribuables rembourseront les dettes publiques, que le surcroît de
croissance à venir permettra un désendettement que la croissance passée n'a pas maîtrisé.
Etalon forcé pour forcer la mesure
Les banques centrale produisent l'étalon monétaire de mesure de la valeur par leur politique de crédit. Pour maintenir leur production de crédit au profit des États et des systèmes financiers,
les banques centrales abandonnent la mesure de la réalité possible. Elles produisent du crédit en réalité non remboursable. Elles qualifient de crédit ce qui est réellement du risque. Le risque
est l'anticipation de la valeur future incertaine par rapport au crédit qui anticipe la valeur future quasi-certaine. Les banques centrales produisent du risque.
Elles s'exposent à des pertes en prêtant sans être totalement sûres du remboursement ; ipso facto elles créent de la monnaie sans pouvoir d'achat certain en contrepartie ; pouvoir d'achat non
parfaitement réel parce qu'entaché d'incertitude. La valeur de la monnaie devient incertaine. Comme le risque est justement l'incertitude de la valeur anticipée, comme il ne peut être mesuré que
par différence, entre la valeur anticipée et la valeur anticipée certaine, comme la certitude de la valeur anticipée disparaît avec le doute du crédit, comme l'absence de crédit est l'absence de
contrepartie certaine à la monnaie, comme la monnaie devient incertaine, l'économie perd la faculté de mesurer ses risques. L'économie mondiale détruit la réalité du crédit et s'installe dans
l'incertitude du risque non mesurable.
La destruction de la monnaie relancera-t-elle le calcul économique ?
Pourquoi faut-il forcer la monnaie pour relancer les anticipations de la valeur future ? L'affirmation gratuite d'une vitesse est d'un cap est le seul moteur de confiance qui permette de
retrouver un cap en conservant de la vitesse et d'accélérer si le cap est reconnu bon. La confusion instaurée par la dérégulation des années soixante-dix et quatre-vingts entre la mesure du
risque et la mesure du crédit ne permet plus de distinguer le cap de la vitesse. La monétisation indistincte du crédit et du risque dans un marché unifié a été retenu comme meilleure esquive au
débat non tranché de la certitude du cap.
Les mêmes institutions financières mesurent le crédit et le risque par lesquels elles dégagent leurs bénéfices. Une vue optimiste du crédit est nécessaire pour maximiser les résultats sur le
risque. Une vue optimiste de la valeur réelle est nécessaire pour maximiser les résultats du crédit. Mais trop de risques tuent le crédit. Et trop peu de crédit écrase les bénéfices du risque.
Risque et crédit s'équilibrent par une anticipation réaliste de l'avenir. Mais quel intérêt l'institution polyvalente a-t-elle à voir objectivement la réalité ? Elle doit déformer sa vision du
risque pour oser faire du crédit et déformer sa vision du crédit pour oser prendre des risques.
La crise actuelle termine le cycle amorcé en 1929 d'ajustement du système financier à la monnaie fondée sur le seul crédit : abandon de la définition métallique de la monnaie pour relancer la
croissance par le crédit, reprise de la croissance sous l'impulsion de la deuxième Guerre Mondiale, dérégulation de la croissance par l'excès de crédit, dissimulation du risque par
décloisonnement des marché, arrêt de la croissance par incertitude insurmontable de la valeur future. L'économie ne croit plus à la réalité d'une anticipation sous une même responsabilité de la
valeur en risque et de la valeur certaine du crédit.
La finance : mécanique ou système de responsabilité ?
Le risque est bien de la valeur incertaine jusqu'au décompte du réel. Bénéfice quand la valeur anticipée est effectivement produite ; perte quand la production réalisée ne suffit pas à rembourser
les crédits ; crise quand trop de pertes sont réalisées en même temps. Crise quand l'anticipation de la valeur s'est désintéressée du réel ; quand le risque n'a pas vu que l'économie réelle ne
suit plus. Si les mêmes institutions négocient le crédit et le risque, elles surestiment la réalité des bénéfices possibles pour faire du crédit et surestiment la solidité réelle des crédits pour
dégager des bénéfices. Ceux qui sont récompensés pour apporter l'énergie d'accélération du navire le sont aussi pour confirmer le bon cap qui détermine l'accélération réelle !
La prudente séparation institutionnelle entre les activités d'investissement et de crédit a été abandonnée dans les années quatre-vingts pour libérer le crédit et la croissance dans les pays
occidentaux. La prolifération des innovations financières des trente dernières années a considérablement affiné la mesure de tous les risques. La qualité des instruments a fait croire à la
possibilité d'un pilote automatique se substituant à la fragilité du jugement humain. La réalité est qu'en matière financière, il n'existe pas de nord magnétique pour indiquer une fois pour toute
son cap à une intelligence artificielle.
Le cap est en discussion permanente entre des responsabilités définies et partagées : responsabilité de marché de désigner la valeur à produire, responsabilité de crédit d'anticiper la valeur à
produire pour enclencher sa production, responsabilité du risque d'attribuer les rôles et de vérifier la tenue des objectifs fixés par le marché. Connaissons-nous aujourd'hui notre cap économique
et la finance qui nous y mène ?